Louis Dréano – Philippines – mai 2016

Hola ! Que tal ? Habla usted Chabacano ?

Je vous quittais sur le point de m’envoler pour Zamboanga, une ville au Sud du pays, sur Mindanao. Pour rejoindre cette ville, il nous fallut voler vers Manille puis prendre un second vol pour le Sud. Mon Tito Junjun (conseiller Rotary) est donc venu avec nous trois, les étudiants d’échanges de Bacolod. Nous avons pu faire un petit tour de la capitale Philippine d’abord. Le trafic y est terrible mais nous avons pu aller au onzième plus grand centre commercial du monde (!), à l’Ocearium de Manille, faire du patin à glace. La baie de la ville est magnifique. Elle faisait face à l’arrivée des bateaux Européens dans le passé. Le soir même, nous nous envolions pour Zamboanga. Lorsque nous sommes sortis de l’aéroport, une foule de gens de l’autre côté de la rue nous fixait. Un silence long et fantomatique cristallisa notre présence. Tout une escorte de police nous suivie ensuite – la veille, il y avait bien eu une fusillade par très loin.

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Les quatre jours de Conférence ont été intenses. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer les deux étudiants « résidant » à Zamboanga. On s’est rendu compte à quel point notre échange différait, et que nous, ceux de Bacolod, sommes très chanceux – à aujourd’hui, deux étudiants sont déjà rentrés car ils s’ennuyaient chez eux… au début de notre année, on était sept ; Je n’avais pas l’impression d’être aux Philippines. C’est un autre monde Zamboanga. On se croirait vraiment en Malaisie… La ville est un mélange extraordinaire, de la présence musulmane à son histoire coloniale espagnole. La noix de Coco, le Knickerbocker (c’est une glace très très très bonne) et le Malong en sont les spécialités. Le soir, nous avions eu une soirée au thème « disco » – durant laquelle nous, les 7 étudiants d’échange, avions fait un petit numéro, en chantant « Anak » de Freddie Aguilar, un vrai succès devant des centaines de Rotariens ; puis une autre soirée très élégante le lendemain.

Se promener à Zamboanga se fait toujours en la compagnie de gardes du corps. On les remarque avec leur sacoche « Banane », dans laquelle ils mettent leur pistolet. A part les étudiants d’échanges, il n’y a aucun blanc à Zamboanga. Et pourtant la ville est magnifique ! Là-bas il y a cette île paradisiaque, Santa Cruz ; de l’autre côté il y en a une autre aussi, mais moins paradisiaque… C’est le refuge des Rebelles islamistes… Ceux qui avait insurgé la ville pendant trente jours sanglants… Avant d’arriver à Zamboanga, quelqu’un nous disait « wouaw, c’est sympa Zamboanga, très jolie… Mais restez dans votre hôtel hein ! ».

Notre voyage de 10 jours entre Rotex a commencé à Zamboanga donc, passant par Manille, Palawan et finissant par une journée à Iloilo. Le plus exotique reste Palawan je pense. Pendant trois jours, nous y avons fait du « island hopping », allant d’île en île le jour. Avec évidence, nous sommes allés dans un des endroits les plus beaux du monde ! Des plages à sable blanc, des caves souterraines, une archipel de petites îles sans fin… Nous y sommes arrivés la nuit, pensant que nous étions au bout de l’île de Palawan. Puis au levée du soleil, on se rend compte que tout El Nido est entouré de montagnes rocheuses, qu’à perte de vue des îles et la paix d’un paysage que l’on ne cesse de contempler. Un souvenir fort aussi sur Palawan fut lors de notre passage dans un parc, près d’une grande chapelle. Nous sommes tombés au crépuscule sur un groupe de danseurs de Zumba et leurs enfants. Tout naturellement, on est venu leur parler et jouer pendant une bonne heure avec eux !
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Même si j’étais loin de mon île, je pensais encore à mes familles, mes classmates. J’ai du coup acheté pleins de « pasalubong » (genre de souvenirs que l’on ramène OBLIGATOIREMENT à nos proches après un voyage, tels que de la nourriture, T-Shirt, etc.) à ma famille d’accueil, à mes professeurs (notamment un Malong pour Miss Girlie, ma professeur principale), à mes camarades de classe, mes amis. Finalement, j’ai pu avoir un meilleur aperçu des Philippines (avec son côté carte postale et bout du monde) ; mais j’étais bien content de rentrer, ma vie me manquait déjà…

A notre retour, nous étions en examen. Dans la foulée, j’ai pu être publié dans le journal de l’école et nous avons eu notre journée de « recollection ». Toute la classe s’est rassemblée pour prier, dire avec émotion « aurevoir » à l’école (mes classmates change d’établissement l’année prochaine), « je t’aime » à chaque élève, remercier chacun de son action et sa présence dans la classe. Pour ma part, ils m’ont réservé une grosse enveloppe avec des petites lettres ; puis on m’invita au devant de la classe et chacun me dit un petit souvenir, petit message personnel ! Encore une fois, la classe était unie et très touchante (comme lors de cette journée au mois de Décembre, pendant laquelle nous sommes allés dans un genre de grand resort, y manger un bon gros cochon bien cuit et se baigner). Le 30 Mars était la fin officielle de l’école. Nous avons donc dû pratiquer et pratiquer la cérémonie des diplômes pour être au point et faire quelque chose de très formel. Ce mercredi-là (le 30), nous étions le matin à l’église puis l’après-midi à l’école. Notre uniforme scolaire était d’un blanc immaculé et nous avons pris le temps de prendre de belles photos (avec mes deux diplômes : un pour l’école, l’autre pour l’interact).
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Parfois, quand j’allais avec les Scouts de l’école (Edmund, Joshua, Yong et d’autres) sur le cour d’Handball, je levais la tête. Il y a toujours un avion qui passe au-dessus, l’aéroport n’est pas très loin. Il me rappelait d’où je venais ; et qu’il était évident que je le reprendrais un jour. Avant que je parte, je vaire faire un camps de secourisme avec ces amis scouts mi-Mai. J’ai hâte.
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Fin mars, mes quatre professeurs préférés avec qui je suis assez proche (les 2 Miss Rose, Miss Mel et Miss Anna) et moi, nous sommes allés à Chinamark, un grand magasin de discount tenu par des Chinois. Avec 4,500 Pesos (85 euros), nous avons acheté des affaires scolaires, des ballons de basket et de volley pour Boy’s home, l’orphelinat que j’avais visité (lors d’une action Interact) avec Miss Mel fin Février. On avait dit aux enfants qu’on reviendrait. Le 10 mai exactement. D’autant plus que j’ai la chance d’être en contact avec une petite association qui recueille des chiens violentés et qui voudrait nous offrir, à Boy’s Home, un beau petit chien gratuit ! On parle souvent de « dog-therapy » pour se sortir d’un trauma.
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Malgré que nous avions officiellement terminé l’école, j’y suis revenu quelques fois pour voir des amis et ces quatre profs (les 2 Miss Rose, Miss Mel et Miss Anna donc). De ma vie ici, j’ai à la fois l’impression que tout est programmé (depuis mi-Avril jusqu’à fin Mai, j’ai quasiment tous les jours quelque choses de prévu) et celle que le destin me mène beaucoup. Ainsi, je me retrouve à partir de l’école vers 7 heures du soir (ça m’est arrivé depuis Février) car je rencontre telle ou telle personne… Et se retrouver au marché Chinois ou chez un prêtre Indien à l’heure du dîner tient bien plus d’un coup de tête que de mon emploi du temps.
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Depuis la fin de l’école, je suis très occupé. A regarder mon emploi du temps, j’ai véritablement bouclé tout mon mois de Mai depuis mi-Avril ! Tous les mardi ou mercredi soir, j’enseigne le Français pendant deux à trois heures. J’ai gardé contact en effet avec le Club Français de ma ville, qui avait accueilli l’ambassadeur en Février et m’avait invité à le rencontrer. Je « donne mes cours » à un petit groupe variable de 3 à 8 personnes. Il y a des « anciens » qui ont eu des bases à l’école, puis des « jeunes » qui souhaitent apprendre ! Comme promis avec Miss Mel et Miss Anna, on va aller un jour à Bahay Pag-Asa (« maison de l’espoir » en Tagalog). Tout ce que je peux gagner des cours que j’offre est réservé à une future action là-bas, à l’instar de Boy’s Home. Cet institution ne reçoit pas d’aides du gouvernement et pourtant, elle face à un gros soucis : la criminalité juvénile. En effet, aux Philippines, lorsqu’un enfant est coupable, il doit purger sa peine. Bahay Pag-Asa est en somme une « prison pour enfants ». Rien que la définition est un scandale empli de tristesse. A eux aussi, j’aimerai bien donner un chien. Je dois voir ça avec Miss Mel et le frère qui tient la maison. Mai 10 aussi, on ira !

Au début Avril, j’ai eu l’occasion de rencontrer Peque Gallaga, un cinéaste de mon île – un costaud bonhomme bien trop espagnol pour ressembler à un Philippin. Mon deuxième père d’accueil est un artiste – le cercle des arts de l’île est donc assez petit et tout le monde se connait plus ou moins. J’étais initialement parti à la recherche d’information sur un réalisateur pionnier du cinéma Philippin, Lino Brocka ; et sur la distribution et la conservation des films des années 70 et 80. Le rédacteur d’un magazine français m’avait demandé de travailler dessus et de voir ce que je pouvais bien y trouver. Au regard de la restauration des films ici, tout un patrimoine culturel se meurt à jamais. Il n’y a pas d’argent pour conserver tous ces films. En DVD, seuls trois ou quatre « vieux classiques » sont accessibles, à côté de centaines et centaines de films perdus de toute une génération naissante qui vaut le détour. Malgré cela, j’ai pu échanger avec Peque sur de ce que j’ai pu voir. J’ai sur mon portable un entretien de deux heures avec lui. C’est un réalisateur qui a véritablement marqué le cinéma philippin par deux films : Oro, plata, mata et Scorpio Nights (film érotique au passage). Il m’a prêté quelques de ses films (introuvables bien sûr sur n’importe quelle plateforme). L’autrefois, je l’ai retrouvé au théâtre de mon école. Il travaillait sur une pièce dans la langue de mon île !
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Actuellement, ce sont les élections aux Philippines (Mai 9). Le président, le sénateur, le congressman, le maire, etc. Tout le monde est très agité par cela. Dans ma famille, nous sommes tous partis supporter Mar Roxas (siya atin iboto na!) lors d’un grand meeting (ma mère d’accueil lui a serré la main) et d’une course à pied tôt à l’aube. Lors de cette dernière, ma maman d’accueil et moi tenions ensemble une affiche Mar Roxas. A l’arrivée, nous avons été élu (devant des centaines de gens hein!) le meilleur couple haha ! Pensez-vous, j’étais le seul blanc… Quand même, j’ai gagné un billet de 10 euros ! Pour ce qui est de la politique philippine, Duterte a de grandes chances de devenir le prochain président… Malgré tous les scandales autour de lui… Il veut tuer tous les criminels, tripler les salaires des policiers (économiquement impossible), il parle de ses maîtresses et expériences sexuels à tout va… « Dirty Harry » il est surnommé. Bref, vous avez le choix ici entre : Binay (s’il gagne, il ne pourra pas aller en prison), Sandiago (très bonne législatrice mais est très malade ; de surcroît, son remplaçant est le fils du dictateur Marcos), Grace Poe, Mar Roxas (botohon naton tanan siya!) et Duterte (!).
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Depuis mon arrivée aux Philippines, Mathilde, une étudiante d’échange Belge de l’île d’en face (Panay), vient souvent nous rendre visite. Être avec elle me rappelle souvent ma condition d’étudiant. C’est vrai qu’à l’encontre d’autres pays, être étudiant dans mon district (3850, les Visayas, au Sud des Philippines), on oublie le cadre du Rotary. Pour ma part, terminer l’école a été une petite épreuve un peu difficile. J’adore mes classmates, mes profs, le cadre est très agréable… Je me vois bien rester ici en fait. Je me dis que l’année prochaine, je continuerai à aller à La Salle pour faire mon Grade 11 et 12 ; puis on ira à l’université. Me projeter au-delà de ma date retour ici est très naturel. Mon emploi du temps me fait penser à bien de choses cependant. Avec ma famille, on va à la montagne, on fait de la boxe, on passe des temps extraordinaires ensemble. Avec Mathilde aussi, on part visiter son île Mai 11. On fêtera ensuite son anniversaire chez Vikings. Là-bas, le buffet est à volonté, les serveurs chantent « Joyeux Anniversaire » en donnant des chapeaux, T-shirts, et c’est gratuit pour le birthday boy !

Je souhaitais faire aux Philippines du bénévolat (volunteering). J’ai depuis Février entamé la démarche pour aider à Kalipay, un orphelinat de mon île. Dans notre dialecte, Kalipay signifie « joie, bonheur ». Près de 7,000 cas d’abus sur enfant ont été recensés en 2009, sur mon île seulement. 6 millions d’enfants sont mal nourris dans toutes les Philippines. A certains égards, je me suis rendu compte qu’il vaut mieux vivre pauvre dans la campagne que dans la ville. Il y a quelque chose de plus sain si puis-je dire. La ville est sale. Personne a envie de s’endormir sur un misérable morceau de carton pour seul lit, près du trafic incessant des voitures, de la pollution, du bruit, du danger. Y vivre dans ces rues, sans rien, seul, sont des conditions bien tristes ; et pourtant, je ne vous parle que de Bacolod, ville de la province. Manille est pire : Manille est un véritable enfer sur terre.

Arrivant là-bas, dans un orphelinat un peu reculé, entouré de champs de sucre, je me demandais ce que je pouvais bien leur apprendre à ces enfants… Après quatre jours seulement passés avec eux, je me suis rendu compte que je ne leur ai rien à apprendre, ils enseignent la vie… Et cela avec beaucoup d’amour. L’amour est au-dessus de tout. Des sourires, des rires, des chamailleries pour me dire qu’ils m’aiment. Rester avec ces enfants, c’est une réelle bénédiction. On n’arrive pas à comprendre le mal qu’on a pu leur faire, que ce sont malgré tout des petits coeurs sensibles et brisées. C’est impossible tant ils sont rayonnants ! Ils chantent, font de la guitare, parlent un très bon Anglais, sont cultivés, curieux.
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Plus concrètement, en tant que volontaire/bénévole, je donnais mon aide un peu partout. Nous sommes en pleines vacances ici ! Tous les matins, ils ont des activités (faire du jardinage, apprendre à conduire, à cuisiner, à fabriquer des choses, à comprendre notre monde et être sensible aux enjeux environnementaux) ; puis l’après-midi, ils préparent la célébration des nouveaux locaux pour le 7 mai ! Parfois, j’avais l’impression d’être un animateur de colo. On passe beaucoup de temps avec les enfants et de tout l’amour qu’un enfant (de 5 à 18 ans) peut donner, on demande qu’à rester. Après quatre jours donc, je devais déjà m’en aller. L’après-midi, j’avais un meeting avec une association de protection pour animaux (avec le maire) et le soir-même, un anniversaire. Le vendredi soir d’avant, Cleo, le bénévole allemand, avait fait des pop-corn et acheté des sucettes avec les enfants pour que tout le monde puisse regarder ensemble « Toys story ». J’étais assis à côté de mes amies Almich et Jacqueline. Elles me passaient de temps en temps leur paquet de pop-corn. Puis quand tout fini, on alla nous coucher. Alexander, un enfant de 15 ans, me dit que demain tous se lèveraient à 5:30. Je ne le croyais pas. C’est beaucoup trop tôt. Il faut avouer qu’à cette heure, l’aube est magnifique et le vent légèrement frais ; mais malgré tout, c’est tôt. Quelle surprise donc de se faire réveiller à 5:30 le lendemain. A la porte, ils chantaient. Je ne comprenais pas moi ! Une trentaine d’enfants à ma porte ?! Je pensais que c’était pour nous réveiller… Mais pas seulement. Ils jouaient pour me remercier de mon séjour avec eux. Puis un après un, ils sont venus me dire un petit mot. J’ai pris du temps pour réaliser tout cela ! Quel amour ! Et repenser à ce moment magnifique m’émeut le plus sincèrement.
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Il est difficile d’apprendre un dialecte. Sur les 7 étudiants de mon district, je suis le seul à apprendre un. J’ai sur mon portable des mots et des mots en Ilonggo pour me souvenir. Il n’y a pas de support pour étudier ce dialecte, et quand les gens vous voient, ils vous parlent en Anglais. Du moins, les gens d’une assez bonne éducation – par-là, je veux dire « être allé à l’école » ; ne veulent pas vous mettre en difficulté en vous imposant de parler leur propre langue. Pour moi, c’est un geste de dénie de ne pas vouloir s’intéresser à leur langue. Dans le livre El Filibusterismo du héros national Philippin Jose Rizal, il écrit justement : « Tout peuple a son propre langage, tant il a sa propre façon de se sentir et de penser. Imposer une langue c’est subordonner ses pensées à l’esprit d’un autre et à la place d’être libre, on ne se rend qu’esclaves. Le langage est la pensée d’un peuple ». A dire vrai, on survie très bien aux Philippines en parlant l’Anglais seulement (pour aller au restaurant ou discuter à l’école). Les enfants de Kalipay sont habitués à voir beaucoup de blancs ici (d’où leur excellent Anglais). Par contre, on ne touche que les gens par leurs propres mots livrant leur propre pensée. L’Anglais devient une langue assez artificielle donc, ici aux Philippines. Ce rêve-ci, « toucher les gens par leurs propres mots », je ne m’attendais pas à le réaliser à Kalipay.

Voilà donc. J’ai beaucoup à faire ici. Je n’ai pas envie de partir de mon île, trop occupé. Encore moins envie de voyager. Du côté de mes projets, je suis content d’aider à Kalipay, notre projet de « Welding scholarship » va du feu de Dieu et on retourne le 10 mai à Boy’s home pour les fournitures scolaires, comme promis. Madamo nga salamat sa inyo tanan, akon mga ginitakan kag Rotary ! Lip-ot ang tinir ko mag dugay gali… Grand merci à vous tous !