Louis Dréano – Philippines – Juin 2016, derniers moments

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Le dernier mois de mon échange s’est trouvé très riche et terriblement occupé. Il m’arrivait souvent de partir de la maison vers 9h du matin pour rentrer vers 21h. Tous les mardi, j’enseignais le Français pendant 3h a maxima. En effet, dans ma ville, il y a ce club « français » tenu par des Philippins qui sont amoureux de notre culture. Il y en a qui ont vécu en France, d’autres sont encore qu’adolescents. Je préparais donc mes propres cours (de conversation et de grammaire), puis autour d’un thé, je faisais apprendre. A chaque fois, je me sentais comme en France : on parle de ma région, une dame chante du Charles Trenet, une autre raconte sa vie à Biarritz. Lors de mon dernier week-end, les membres du club m’ont offert une soirée chez quelqu’un au bord de la mer, pour ma despedida (soirée de départ). Vicky, celle qui a faisait des colliers pour Sharon Stone, m’a offert un magnifique collier pour ma mère !
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Après une dizaine de cours peut-être, j’ai pu collecté près de 100 euros. Cette somme, je l’ai versé au centre SDC des enfants des rues de Bacolod. Effectivement, il y a une Française qui y travaille au nom de Virlanie, une ONG française. J’ai pu visiter ce centre deux fois. Avec du recul, je suis déçu de ne l’avoir pas vu plutôt, de ne pas avoir passé du temps avec les enfants là-bas… Les gamins y sont adorables bien évidemment. Ce centre est méconnu, à côté du centre de police. C’est un peu une prison. Les enfants y sont divisés en trois catégories : les trustys (ceux à qui l’on fait confiance), les locked (ceux qui n’ont pas respecté les règles et doivent être enfermés pour leur sécurité) et les autres (qui n’ont pas fait grand chose). L’endroit où les jeunes sont incarcérés est très médiocre, en raison du manque de moyen financier… Ils dorment sur de la paille, n’ont pas de meuble… Mais au moins, ils font des activités, peuvent manger, se laver et dormir. La somme récoltée du club Français a pu servir à acheter des assiettes, des verres, des chaises et des bancs. Niveau basique du basique, on ne peut pas faire mieux…
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Grâce à Sara, la Française de Virlanie et de SDC, j’ai pu rencontrer des familles vivant devant le McDonald’s et le KFC, sur la place de la ville. Pour cesser la faim, ils sniffent de la colle à longueur de journée. Des gamins de 12 ans complètement défoncés à ce qu’on appelle le « rugby »… Les misérables, ils n’ont rien, excepté des percings, mille bracelets et des cheveux blonds teintés. Ce sont la honte de la ville, ceux qu’on cache lors de la présence d’une célébrité. Ces princes de la rue sont magnifiques pourtant, avec leurs blessures de guerre. Certains se sont faits rouler par une voiture car ils dormaient à même le sol. Et c’est seulement quand on prend du temps avec eux, on discute, on rigole, qu’on se rend compte que ce sont bien des gentils et des adorables. Ils adorent montrer ce qu’ils savent faire : magie, dance, rap, parler anglais, fabriquer des bracelets, etc. Là encore, je me suis rendu compte que l’amour est au-dessus de tout : pour le peu d’attention qu’on leur offre, leur échange est double. Pour beaucoup, ils restent de simples enfants qui aiment jouer. Même s’ils sont analphabètes, ils ont toujours des rêves aussi : devenir policier (car ils ont un pistolet), pilote d’avion, etc. Un bel exemple d’espoir est celui du chef de la police de toute mon île : il a grandi dans la rue comme eux, et malgré tout, est devenu l’un des hommes les plus puissants de Negros ! Voilà une successful story ! Car ici, on est loin de tout cela… La rue est une liberté incroyable. Les enfermer dans un centre, bien que nourris et protégés, ne leur plaît pas. Il y a bien ici un paradoxe : ils vivent en comunauté, en famille ou en gang, mais lorsque leur liberté est resserée, ils s’envuient. Pourtant, leur offrir de l’intérêt est un cadeau qu’ils ne refuseraient jamais – se nourrir et bien dormir ne sont que secondaires finalement pour eux. Ils vivent sans règles. Leur vie n’est que survie, ainsi ils naissent et meurent.

Début Mai, il y a eu la cérémonie d’ouverture de la nouvelle école du centre pour enfants abusés Kalipay. Je vous avais quitté sur le point d’y aller pour ma deuxième fois. De nombreux sponsors d’origine espanique étaient présents. Les enfants avaient préparé un petit show depuis début avril pour l’événement. J’ai pu y rester une petite semaine avec les enfants. Le jour de mon départ, c’était les élections. Il m’a fallu trois heures pour rentrer chez moi au lieu d’une… Au final, Duterte a gagné. On verra bien ce qu’il adviendra! Après Kalipay, j’ai passé une petite semaine sur Panay, l’île d’en face, avec les deux suisses et mon amie belge, Mathilde ! On est allé à Iloilo et on a découvert les plages magnifiques longeant Antique. L’endroit est peu touristique mais pourtant, c’est très beau !
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Avant de revenir pour la troisième fois à Kalipay (début Juin), je voulais être sûr que je puisse organiser quelque chose pour les enfants, une journée hors du centre. Pour atteindre ce but, il m’aura fallu du temps encore… Trouver un endroit avec une piscine, fournir de la nourriture, planifier des activités… Pour le coup, j’ai cherché un peu partout et finalement, j’ai fait appel au président du campus de La Salle Bacolod. En effet, je me suis rapproché de Brother Mawel dans mes derniers mois. C’est quelqu’un qui a beaucoup voyagé (connaît bien Solesmes!), a étudié/parle 12 langues, et s’intérèsse beaucoup aux jeunes. Il a une foi, à l’instar de Saint Jean-Baptiste de la Salle – le Saint de notre école ; en l’éducation pour les pauvre et la jeunesse. En ce point, je me retrouve beaucoup chez lui. Ainsi, il m’a permis d’offrir aux enfants de Kalipay une journée gratuite le Vendredi 3 Juin, à l’éco-park de Granada. Dans cet endroit, il y a une piscine, des animaux protégés et un centre sur l’écologie et la nature. L’objectif de cette journée était pédagogique et divertissant : le matin, nous avions une visite guidé du centre puis une carte au trésor ; l’après-midi, nous avions piscine et snacks. J’avais acheté le déjeuner et les snacks chez Nene’s, en face de mon école. Je pense que les enfants se sont bien amusés ! A la fin de cette journée, j’ai dû leur dire « aurevoir »… Je voulais clotûrer ma présence à Kalipay en beauté !

Le lendemain, le Samedi 4 Juin, les trois Rotex Suisses et Belge et moi avions notre projet  » child health care program » au Barangay de Villamonte. Ici encore, l’aboutissement de cette action a pris du temps. Au mois de Novembre, je m’étais rapproché comme jamais de ma professeur de CLE (Christian Living Education). Je lui avais parlé de mon envie de projet. En Février, je suis retourné vers elle car sa soeur est la « capitaine » d’un Barangay (quartier) particulièrement pauvre à Bacolod. On devait visiter ce Barangay pour voir ce qu’on pouvait y faire. Entre temps, j’étais très occupé. Finalement, mi-Mai, j’ai pu visiter Villamonte avec ma prof Miss Andre et sa soeur. Du coup, Mathilde (Belgique), Emanuel (Suisse), Lisiane (Suisse) et moi (France!) avons donné chacun 5,000 php (100 euros), soit 20,000 php (400 euros) pour payer des fournitures scolaires, des tongs pour 100 enfants, des kits de toilettes et de la nourriture. J’avais demandé l’aide de ma Tita Jennifer, qui est la femme du président de mon club Rotary et docteur, faisant souvent des petites conférences pour les enfants. Ainsi, nous avions acheté nos besoins la semaine d’avant et rapporté ces derniers au bureau du Barangay. Ce jour-ci, la soeur de Miss Andre était en pleurs car elle disait que c’était rare de voir des gens généreux… Elle était ébahie par tout ce que l’on avait acheté pour les enfants du Barangay. Ensuite, le jour de notre projet, ma Tita Jennifer avait fait sa conférence sur « comment avoir une bonne hygiène de vie ». A la fin, nous offrions la nourriture et tout ce que l’on avait acheté. Cette action était un succès ! En tant qu’étudiant d’échange, on voulait aussi montrer notre intérêt pour notre ville d’accueil et ce que l’on était capable de faire !
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Lors de mes deux derniers mois, je souhaitais connaître toutes les infrastructures existantes qui s’occupe de l’enfant. Il y a ceux de mon école Saint La Salle (Saint patron des professeurs et de l’éducation aux pauvres) dont Bahay Pag-Asa (centre pour enfants en conflit avec la loi) et Boy’s home (orphelinat pour garçons de plus de 10 ans) ; et d’autres plus indépendants comme Missionaries of Charity (orphelinat pour jeunes enfants, tenu par des Soeurs catholiques au nom de Mère Térésa, que j’ai visité 5 fois, notamment avec ma prof de CLE, Miss Andre), Kalipay (centre pour enfants abusés) et SDC (centre pour enfants des rues et en conflit avec la loi). J’ai voulu tous les visiter et tous les aider. Le 10 Mai, mes cinq profs préférées (Miss Mel, les deux Miss Rose, Miss Anna et Miss Pauline) m’avaient invité à visiter une ferme de canne à sucre. J’ai vu ces longs champs de sucre et les locaux qui y travaillent. On m’a même fait monter un Carabaw (genre de taureau unique aux Philippines). Ensuite, nous sommes passés par Boy’s Home pour offrir des affaires scolaires que j’avais achetés et des cahiers que Miss Mel avait récoltés. Avant notre départ, nous avons reçu les bénédictions du prêtre. Après, nous avons mangé à Pala-pala, un restaurant de fruits de mer (au meilleur Sisig !) et pris un Halo-halo à Kuppa.
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Un autre jour, j’ai pu visité Bahay Pag-Asa (signifiant « maison de l’espoir), un beau centre Lasallien loin et perdu dans la campagne. En effet là-bas, on garde des enfants qui doivent purger une peine. Beaucoup d’entre eux viennent du SDC (dont des rues-même de Negros), d’autres ont fait de la prostitution, de la contrebande. Un petit gamin de 10 ans est à Bahay Pag-Asa car il a brûlé une maison à lui tout seul… Trois autres y sont car des gangs les recherchent pour se venger… Et pourtant, ils n’ont que 10, 15, 18 ans… Frère Dan, un américain, est là pour s’occuper d’eux. Du coup, je leur ai offert quelques habits, des livres et des affaires scolaires qui me restaient de mon échange à Bacolod. J’ai aussi trouvé un chien pour eux car la zoo-thérapie est un moyen formidable pour se reconstruire et grandir !

Dans mon école La Salle, il y a un programme formidable : « kasanagan » (les lumières, en Ilonggo). Une des Miss Rose et Miss Pauline sont en charge d’eux. En effet, des jeunes de milieu pauvre obtiennent une formation d’un an à La Salle pour ensuite aller à l’Université. Il y a ici encore des histoires magnifiques, celles de jeunes qui vivaient dans une maison sans sol qui aujourd’hui travaillent dans des bureaux à Dubai ! Pour moi, la jeunesse est première car elle peut être capable de tout ! Le moyen pour aider ces jeunes, c’est donner des bourses, des formations (quand ils ne peuvent se le permettre). Pour ma part, je vais travailler cet été pour payer (400 euros maximum) la formation universitaire de Jolina (4 ans pour devenir professeur). C’est une ancienne « kasanagan ». Puis, si ça ne marche pas, un autre aura ce que j’ai donné. En tout cas, je n’aurais pas de regret car on leur aura donné la confiance et l’opportunité de faire quelque chose d’extraordinaire !
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Précédemment, j’avais rencontré lors d’un entretien enregistré Peque Gallaga. Ce réalisateur Philippin de mon île m’avait prêté trois de ses films, dont un m’avait beaucoup marqué : « Sonata ». Je lui écrivis une lettre de remerciement et de commentaire sur ses films. Je souhaitais être sur le plateau d’un de ses films, un jour peut-être, et que son film « Sonata » était magnifique et remplie de sens au regard de mon année à Bacolod. Dans la journée, il m’envoya un message et me demanda de manger chez lui un vendredi, en fin Mai… J’ai donc pu rencontrer sa femme (qui joue dans le film) et son fils (qui écrit le film). Il m’a ensuite offert une copie gratuite de ce film « Sonata ». En effet, il fait des films qu’on ne trouve plus sur internet, peu connu, comme beaucoup de réalisateurs philippins qui ne cherchent pas la gloire ! Egalement, il m’a donné le numéro de quelqu’un qui vit à Manille et a tous les films Philippins existants… Avant mon départ des Philippines, cet homme m’envoya par courrier six copies de films complètement introuvables dans le monde entier !
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Dire « au revoir » a du se faire en trois temps à l’école (les deux suisses et moi avions offert au principal une belle photo de nous trois en tenue traditionnelle). Je suis passé plusieurs fois pour quitter tous mes profs. Ensuite, j’ai eu trois « despedida » (soirée de départ) : une avec le Rotary, une avec le Club Français et une avec ma famille d’accueil. Pour cette dernière, je pense avoir concrétisé un autre projet, bien plus « étudiant d’échange ». Tout au long de mon année, j’ai créé des relations fortes avec cinq camarades de classes (Yung, Edmund, Marcelo, Joshua et Kaiser). Je me sentais avec eux tellement bien, de vrais potes ! Fin Mars, je me disais qu’il était impossible que je quitte Bacolod et que je devais retourner avec eux à l’école, début Juin. Ce sentiment est revenu le soir de ma despedida. Il y avait mes trois familles, mes frères et soeurs, et mes cinq professeurs préférés (Miss Anna, les deux Miss Rose, Miss Mel et Miss Pauline). Chacun m’a offert un petit cadeau, dont certains je garde au poignet et à la cheville. Tout était parfait : j’étais entouré par des gens que j’adorais et qui m’aimaient.
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Mon projet de soudeurs a été un succès car nous avons en tout 8 étudiants (qui ont déjà commencé), plus 4 autres possibles avec la somme énorme que nous avons récupéré ! Mon dernier jour, avant que je prenne l’avion, nous avons eu notre remise des scholarships ! A eux de faire leur preuve maintenant !
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J’avais trouvé dans cette année une nouvelle perspective qui éclairait de merveilles ma vie. Je me sentais utile, aimé et présent dans la vie des gens. Parler le dialecte reste difficile mais il n’y a pas de plus beau cadeau que de pouvoir discuter et comprendre un monde loin du sien. A aujourd’hui encore, je pense que mon année aux Philippines étaient pleins de succès et de richesses ! Tous mes projets ont abouti ! Je garderai en image mentale pour toujours tous les sourires des enfants que j’ai rencontré. A Kalipay, il y a Christian qui est un gamin extraordinaire, intelligent et sensible. Il est impossible d’imaginer qu’il y a trois ans, il fuiyait son père dans les rues, le malheureux, qui le viola. Il y a aussi son petit frère et ses soeurs. L’une d’elles est morte d’un empoisement. Et pourtant, ce ne sont que des enfants. Cette misère, elle est terrible aux Philippines car on la croise tous les jours dans la rue. Ces gamins qui titubent car ils se défoncent à la drogue pour oublier la vie. En France, c’est moins physique. Des personnes plus agés vivent dehors cependant, il faut les aider et les aimer pour sûr. Au delà de cela, une misère bien tout autre y subsiste : l’égoïsme, la volonté de ne pas aimer.

Cette année aux Philippines a été une bénédiction. Je me suis rendu compte – du moins, cela a renforcé en moi ; que la santé et l’éducation sont élémentaires à la vie, et que l’amour est la base de tout et le point final de tout.

Merci beaucoup Rotary !